Le politiquement correct n’oeuvre pas à la paix
Revenu de toutes les idéologies séculières (marxisme, Lumières émancipatrices …), l’homme postmoderne ne sait plus qui il est ni où il va. A force de mariner dans la vacuité consumériste, il s’est décomposé et a été réduit à la portion congrue d’une abstraction désincarnée, un sujet de droit mal dégrossi, une entité sans forme ni profondeur. Mal à l’aise avec lui-même, dans son corps comme dans son esprit, il tente de compenser son mal-être par toute une gamme de revendications sensées l’en guérir. C’est la génération « J’ai droit à… ». Mais on ne confond pas l’être et le droit impunément.
Course à la victimisation
Son mal-être est aggravé par la conviction qui est la sienne d’avoir été, et de continuer à être, une « victime ». Conséquemment, en luttant pour obtenir des compensations (les fameux « droits à »), il caresse l’espoir de se sentir mieux dans sa peau.
Cependant, cette conviction va s’avérer néfaste pour la paix civile. En effet, en imputant sa difficulté à vivre avec lui-même à une discrimination imaginaire que l’obtention de « droits » pourrait lever, effacer, le nihiliste projette le mal sur les autres. De la sorte s’innocente-t-il à bon compte. Au lieu de creuser son intériorité pour y discerner les causes de son mal-être, il cherche plutôt celles-ci à l’extérieur de lui. C’est ainsi qu’à un mal existentiel se joint un vice moral : la pulsion accusatrice, qui aggrave infailliblement le premier.

De la haine de soi à la suspicion à l’égard des autres
Errant, tel un ectoplasme, dans un monde inhospitalier, privé d’ assises intérieures solides et stables, notre homme n’est plus en mesure de résoudre l’énigme de son insatisfaction autrement qu’en l’imputant à ceux qui le « discriminent » ou lui « manquent de respect ». Ce qui se traduit de nos jours par la judiciarisation à outrance des rapports humains.
La vacuité spirituelle, la dévastation intérieure dont souffre notre consommateur compulsif (même s’il faut se garder des généralisations excessives en pareil cas), ne sont pas des réalités neutres. Elles représentent des agents corrosifs qui, travaillant à la mésestime de soi de façon inconsciente mais continue, finissent par s’extérioriser, dans leur élan centrifuge, en une pulsion vindicative qui n’épargne rien ni personne.
« C’est pas ma faute, m’sieur ! »
L’individu postmoderne s’estime être en effet une entité trop peu considérable pour être à l’origine de son mal. Aussi se trouve-t-il pour le coup innocenté par … lui-même ! Et puis, les « forces de progrès » lui ont appris que confesser ses propres fautes était un réflexe de bigot, de grenouilles de bénitier, et que la marche de l’Histoire (avec un grand H) avait fait justice des prescriptions « réactionnaires » de l’Eglise en la matière. D’ailleurs, selon la vulgate progressiste, tout le monde est innocent, sauf ceux qui s’opposent à la marche en avant du Progrès…
Dans ce contexte d’innocence généralisée, d’où le mal peut-il bien venir ? Mais c’est bien-sûr ! Des autres, tout simplement ! Ouf ! Notre homme en a réchappé une fois encore ! Victime essentielle, il peut exhiber maintenant son statut comme un passe-droit et un trophée, statut qui le rendra également, avantage à ne pas négliger non plus, éligible à tous les dédommagements.
« C’est lui qui a commencé, m’sieur ! »
Mais si le voisin, qu’il a accusé dans un premier temps, se révèle manifestement innocent, en sortira-t-il déstabilisé ? Que nenni ! Ce sont alors les aïeux du faux-frère qui se voient accusés séance tenante d’avoir brimé jadis les siens, et qui sont dès lors passibles des foudres du jugement de l’Histoire !
« Si ce n’est toi, c’est donc ton frère. – Je n’en ai point. – C’est donc quelqu’un des tiens. » (Le Loup et l’Agneau)
Le passé de la France est sommé de comparaître à la barre pour venir rendre compte, en tant que témoin à charge, des mésaventures de notre victime aujourd’hui ! C’est ainsi que la fatigue de soi achève sa course dans la manie de la condamnation tous azimuts.
Ce phénomène nous est donné à voir avec le triomphe du politiquement correct. Du mépris de soi, on en arrive insidieusement à la méfiance envers le voisin, à scruter tous ses propos, ses faits et gestes, afin de s’assurer de leur « correction ». Vigilance de tous les instants, peu regardante sur les moyens, qui ne dédaigne pas au besoin les appuis de mouchards dévoués à « la cause ».
Tous perdants
Personne n’est gagnant dans cette affaire. Ni la victime imaginaire, qui n’arrive plus à assumer ses échecs, en les imputant toujours aux autres. Le politiquement correct l’entretient en effet dans une minorité de fait, en lui déniant toute responsabilité.
Ni l’accusé, qui, de son côté, n’en sort jamais indemne lui non plus, obligé qu’il est soit de se justifier, soit de s’autocensurer, soit, s’il est pris sur le fait, de venir à résipiscence, tête basse et cilice sur la peau. Parfois, il a pu éprouver, dans un premier temps, de la sympathie pour le combat des anciennes victimes du racisme et du sexisme. Mais les outrances, les dérives, le sectarisme des mouvements qui préemptent ces causes, ont fini par l’écoeurer et le détourner de ceux qui essayent de se faire passer pour les défenseurs attitrés des celles-ci.
Non, le politiquement correct n’oeuvre pas à la paix. Loin de favoriser l’entente et la concorde entre citoyens, il a plutôt tendance à les diviser et à les dresser les uns contre les autres. Il est temps de mettre un terme à ces excès délétères.
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