Une nouvelle police de la pensée et de la censure se met en place sous nos yeux. Au nom de l’égalité et de la lutte contre les discriminations, elle menace nos libertés.
Les nouveaux maîtres de la Censure
En croyant abolir le règne du Vrai (« Il n’existe plus de vérité unique devant laquelle se prosterner »), les insurgés de mai 68 pensaient de bonne foi avoir fait tomber l’ordre moral qu’étayait la croyance en LA vérité. « Il n’y a plus de voie unique pour parvenir au Bien » soutenaient-ils en substance.
Un nouvel ordre moral
Or, que constatons-nous plus de cinquante ans après ? C’est tout le contraire qui est arrivé ! Jamais la pression moralisatrice n’a été aussi forte dans les milieux universitaire, médiatique et culturel. Jamais les propos déviants, les sorties de route politiquement incorrectes, les prises de positions suspectes ou inconvenantes envers les minorités, n’ont été traquées avec plus de vélocité, de vigilance inquisitoriale et d’opiniâtreté. Jamais la surveillance des opinions exprimées n’a été aussi généralisée.
Censure à la Stasi
On se croirait revenu en Allemagne de l’Est où le fils épiait son père et sa mère, où les parents dénonçaient leurs enfants à la Stasi! Que s’est-il donc passé pour que la France, pays des libertés et de la tolérance, en arrive à se placer sous le joug d’un tel régime d’intimidation et de terreur ?
En fait, la fin de la Vérité universelle, valable partout et pour tous, a provoqué par contrecoup l’arrivée, sur le marché des croyances et des opinions, de « vérités » alternatives, vérités partielles portées par des groupes de pressions identitaires censés défendre leurs membres prétendument discriminés. Résultat : telle « minorité » expose sur la place publique « sa » vérité et se montre menaçante envers quiconque voudra la mettre en doute.
Censure et Délation
Désormais, l’épée de Damoclès de la censure pèse sur la tête du contradicteur potentiel de cette « vérité ». La disparition dans les discours universitaires de LA Vérité, loin de signifier la fin de l’ordre moral, a amplifié au contraire la pulsion de délation à l’encontre de ceux qui osent encore émettre des opinions « déviantes » ou des propos « incorrects ».
Les débats contradictoires, où les hommes libres peuvent échanger entre eux sans être à la merci d’une descente de police de la pensée, se raréfient dangereusement. Ces derniers temps, dans certaines universités françaises, des invitations de personnalités conviées à s’y exprimer ont dû être annulées sous la menace de groupes de pression.
Des officines de censure et de surveillance parties de la base
Une autre raison explique que la virulence moralisatrice des groupes identitaires devient plus difficile à gérer et à contenir que les anciennes idéologies extrémistes de jadis. La police des opinions, la nouvelle Inquisition, n’émane plus désormais d’instances officielles ou d’une autorité reconnue, mais de la base militante elle-même.
En effet, tout individu qui s’estime « offensé » ou « lésé » par tel propos tenu par une personnalité publique ou par une proposition de loi portée par un parti, peut alerter les instances habilitées à recevoir sa plainte, et faire taire de la sorte celui avec lequel il n’est pas d’accord, ou dont il juge les paroles attentatoires à sa dignité.
La censure se dissémine ainsi dans toute la société, devient « horizontale ». Les matons de la prison du politiquement correct métastasent dans l’ensemble du corps social au point de dépasser en nombre ceux qui ont encore le courage de prononcer en public une opinion ou une réflexion un tant soit peu subtile et complexe.
La liberté trahie par ceux qui se réclament d’elle
Une surveillance généralisée de tous par tous se met insidieusement en place. Ici se reproduit le scénario cauchemardesque de la révolution culturelle chinoise où, pour un simple propos, vous pouviez être envoyé dans un camp de rééducation, voire liquidé par un garde rouge. Chacun se tait, comme jadis dans les pays de l’Est.
Avant d’exprimer ce qu’il pense, le citoyen lambda regarde autour de lui s’il ne s’y trouve pas une oreille susceptible de le balancer au Comité de Vigilance de la Pensée Droite. Pour un peu, on ne se parlerait plus qu’entre amis tant la pression est forte.
Mai 68 ne voulait plus de la Vérité surplombante de Platon et désirait mettre à la place des libertés et des désirs infinis. Au final, notre société se retrouve enfermée dans une arène où une foultitude de « vérités », en concurrence les unes avec les autres, s’épient les unes les autres sans aménité aucune.
Quant aux citoyens ordinaires, ils se retrouvent privés de leur liberté de s’exprimer et de livrer leurs opinions en public sous peine d’être traînés en justice.
Les déboulonneurs de statues sont devenus les fossoyeurs de la liberté !
La spirale mortifère de la surenchère
Surtout, cette police disséminée de la pensée est d’autant plus dangereuse pour les libertés que, comme toute poussée révolutionnaire, elle est prisonnière d’un processus de surenchère hors-contrôle.
Chaque petit Torquemada qui traque les propos incorrects afin de se faire bien voir par les instances dirigeantes de cette nébuleuse idéologique, est porté à dénoncer son voisin avec le plus de véhémence possible afin de prouver son dévouement inconditionnel et sa pureté. Hélas pour lui ! Il se trouvera toujours un militant plus zélé et plus arriviste que lui pour dénoncer ses compromissions et le livrer à la police du Mouvement épurateur !
Ainsi, celui qui espérait devenir le petit soutier de la révolution de la repentance généralisée finit par tomber à son tour sous le coup de la dénonciation ! Si bien que chaque militant observe si un laudateur de la Cause plus flagorneur que lui ne va pas le déborder sur sa gauche et devenir ainsi capable de le faire passer pour un traître ou bien un modéré voulant pactiser avec l’ennemi, à l’image de Barnave et de Mirabeau qui prirent langue avec le Roi afin de négocier avec lui l’arrêt de la Révolution.
Ces dénonciateurs sont pris dans un engrenage où leur survie ne dépend plus que du nombre de soi-disant « traîtres » qu’ils livrent au Tribunal de l’Histoire, avec l’espoir d’échapper pour leur part à la prochaine charrette de l’ostracisme médiatique.
Désirant faire table rase de tout un passé détestable, le mouvement racialiste et indigéniste est emporté par un maelström de délation où une « vérité » du matin peut être stigmatisée le soir comme une affreuse « compromission » avec les thèses du patriarcat raciste, islamophobe et sexiste de l’Occident !
Même les leaders de cette frénésie épuratrice sont impuissants à arrêter ce mouvement de surenchère, cheval fou qu’il devient impossible de domestiquer. Les militants, pour prouver leur bonne foi, sont appelés à dénoncer, à détruire (« déconstruire » disent-ils, dans leur jargon) leur propre culture et jusqu’à livrer leurs proches au Moloch révolutionnaire qui demande chaque jour son lot de victimes à immoler sur l’autel des minorités persécutées par l’Occident honni.
La Censure prend ainsi des airs de religion aztèque. On souhaite bon courage aux paroles libres qui oseront s’aventurer dans pareille jungle. Mais restons optimistes : cette rage finira par tomber sous les coups de ses propres excès. Quoiqu’en disent les petits maîtres de l’Université, adulateurs de l’Incorruptible* , Thermidor fut tout de même une libération.
Jean-Michel Castaing
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* Maximilien de Robespierre fut une des grandes figures de la Révolution française. Il obtint le surnom d’Incorruptible en se battant sans jamais fléchir pour les idées qu’il défendait.
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