Le Progrès patine, piétine et fait du surplace.
Le Progrès fait du surplace. L’heure est-elle venue pour lui de laisser la place ? Et si cette disparition du « Progrès » constituait un progrès pour nous ?
Le Progrès dans tous ses états
Le Progrès a bien changé depuis le dix-huitième siècle. Avec Kant et Condorcet, il a d’abord été moral. Avec la Révolution française, il est devenu politique. Puis le socialisme l’a amené sur le terrain de la justice sociale. Rétrospectivement, toutes ces idéologies ont montré leurs limites. Le socialisme appliqué, le marxisme-léninisme, qui se voulait à la pointe du combat progressiste, a même causé une centaine de millions de morts.
Certes, il faudrait être de mauvaise foi pour nier que des progrès ont été réalisés au niveau politique et social. Pourquoi une telle défiance s’est-elle alors emparée de nous envers cette notion de « progrès » ? En fait, l’idéologie qui a porté celle-ci a laissé croire que le Progrès (avec un P majuscule) n’aurait pas de fin, qu’il poursuivrait indéfiniment sa course asymptotique jusqu’à l’établissement plénier du bonheur sur terre. A ce niveau, il a bien fallu déchanter. Cette promesse n’a pas été tenue.
Le « progrès » ne nous a pas guéris des maladies mentales, de l’angoisse, de la cupidité, de l’âpreté au gain, du désir de domination ou de gloriole. A ces invariants de la nature humaine se sont ajoutés le chômage de masse, les déséquilibres écologiques, la financiarisation de l’économie, l’augmentation des inégalités et de la solitude.
La fuite en avant du « Progrès »
Devant ces déconvenues morales, politiques, sociales, sociétales et anthropologiques, le « progrès » s’est rabattu sur un nouveau terrain d’expérimentation. Il a élu maintenant domicile dans les nouvelles technologies et les soi-disant « avancées » de la science.
Dans ce domaine, le « Progrès » tient ses places fortes. La dernière tablette, le dernier IPhone, la nouvelle manipulation génétique, le nouvel implant sous-cutané d’une puce qui ouvre tous les portails sécurisés : voilà les nouveaux terrains de jeu où il espère rattraper ses promesses non tenues !
Impuissant à réduire les inégalités et à réconcilier les hommes entre eux, le Progrès n’a pas renoncé toutefois aux prouesses prométhéennes. La preuve : avec le transhumanisme, il nous assure que la mort ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir ! Le progrès consiste maintenant en l’ « homme augmenté ».
Il s’agit d’améliorer les caractéristiques physiques et psychologiques de l’être humain. A cette fin, on n’hésitera pas à télécharger toutes sortes de données sur le cerveau de l’homme, comme s’il était un simple ordinateur !
Pour nous transformer en surhommes, le « Progrès » aura recours à l’ensemble des moyens mis à sa disposition par la techno-science : intelligence artificielle, biotechnologies, robotique. C’est là un progrès qui prend les traits de Frankenstein sous le masque avenant et trompeur de l’élixir de jouvence.
Le progrès « sociétal »
Il est un autre domaine où la pulsion « progressiste » se donne libre cours : les soi-disant « avancées sociétales ». Par exemple, louer le ventre d’une femme d’un pays pauvre pour « faire un enfant » est considéré par certains comme un « progrès ».
Selon eux, tout ce qui favorise l’assouvissement d’un désir individuel constitue un développement positif qui va dans le « sens de l’histoire ». Heureusement, il se trouve encore des vigies pour nous alerter et nous prémunir contre cette dérive. L’enfant n’est pas un produit, un dû que le citoyen-consommateur serait autorisé à acquérir comme un simple objet et par n’importe quel moyen.
En fait, si les « progressistes » sont incapables de voir que cette marchandisation du corps représente une terrible régression, c’est que pour l’heure le « Progrès » semble privé de finalité, de but. Il n’est plus désiré que pour lui-même. C’est « le progrès pour le progrès » ! Oui, mais après ? Le progrès de quoi ? Vers quoi ? Ses adorateurs béats sont bien embarrassés pour répondre à ces questions.
Le véritable progrès réside dans l’acceptation de soi
Dans une hypermodernité gagnée par l’hubris technicienne, où le véritable progrès ira-t-il se réfugier, sinon dans la redécouverte de notre humanité et de ses limites ? Les véritables « progressistes » se reconnaîtront bientôt à leur maîtrise de soi, à leur incrédulité devant les faux-prophètes du « post-humain » qui voudraient nous faire croire que l’homme est quelque chose à « dépasser ».
Le progrès consiste plutôt à s’accepter comme nous sommes, à aimer notre nature finie et dépendante. D’ores et déjà, être dans le sens de l’histoire vraie et sensée, du développement durable et écologique, c’est réfréner notre penchant à la démesure.
Nous aurons accompli un progrès considérable lorsque nous aurons décidé de ne pas dépendre de la techno-science pour notre bonheur. Le moment est venu de reprendre la main en ne laissant pas des apprentis sorciers décider pour nous au sujet de ce que serons demain.
La vieille notion de progrès sera bientôt synonyme de souveraineté retrouvée de l’homme sur son propre destin et de désaliénation par rapport à l’idole techno-scientifique.
Jean-Michel Casting
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