Europe ! Montée en puissance de l’euroscepticisme
Le coup de tonnerre du Brexit a révélé à ceux qui s’enfouissaient la tête dans le sable, la force des tendances eurosceptiques dans les opinions. La réélection récente de Victor Orban en Hongrie a braqué cette fois-ci les projecteurs sur l’Europe de l’Est, où la défiance à l’égard de Bruxelles est plus grande encore. De son côté le gouvernement polonais ne fait pas mystère du peu de considération qu’il a pour l’idéologie libérale qui règne au sein des instances dirigeantes de l’Union européenne.
Un constat s’impose : l’Europe semble de nouveau coupée en deux, trente ans après la chute du Mur de Berlin. Comment expliquer cette scission ? Cette coupure apparaît à première vue d’autant plus surprenante que les pays de l’ancien bloc communiste ont été très empressés dans un premier temps de rejoindre l’Union. Quelles raisons profondes motivent maintenant leur défiance ?
Pour répondre à cette question, il est nécessaire au préalable de se débarrasser du réflexe moralisateur qui juge et condamne. Appartenir à un pays fondateur de l’UE n’ autorise pas à adopter une attitude de surplomb condescendante envers les citoyens « tard venus ». Il est préférable de cultiver de l’empathie pour ces pays de l’Est, et d’essayer de se mettre à leur place, afin de mieux juger de leur évolution vis-à-vis de la construction européenne.
Trois causes principales sont à distinguer dans leur euroscepticisme : leur passé communiste, leurs regards extérieurs sur l’évolution de leurs voisins occidentaux, enfin leur refus d’une Europe qui renie son passé.
Le poids du passé communiste
Passer plus de quarante ans sous un régime totalitaire, vivre sous la chape de plomb d’un mensonge généralisé, vous aguerrit face aux pommades idéologiques avec lesquelles on espère vous amadouer. Beaucoup d’analystes politiques jugent des orientations des anciens pays communistes à leur aune libérale, en faisant abstraction de leur passé récent. Comme si les nouveaux entrants sortaient de nulle-part ! D’un côté, les libéraux se veulent très « compréhensifs » et « tolérants » envers les immigrés extra-européens, d’un autre côté leur manie moralisatrice resurgit dès lors qu’un parti trop « conservateur » à leur goût, ou « populiste » selon la terminologie à la mode, pointe le bout de son nez.
Le communisme fut un faux universalisme. Les européens qui ont vécu sous un tel régime sont vaccinés contre les promesses d’un vague avènement d’une « humanité réconciliée avec elle même ». Sans doute l’Europe, dans son projet, leur apparaît-elle trop abstraite pour leur inspirer confiance. Les anciens pays communistes se méfient des utopies. A tort ou à raison, l’UE fait les frais de cette défiance.
A cela s’ajoute une certaine distance vis-à-vis des déclarations trop généreuses ou grandiloquentes. Dans les régimes communistes, la parole était complétement démonétisée parce qu’elle était au service du mensonge. Pour cette raison, les anciens citoyens de l’Est entretiennent un rapport au discours politique différent du nôtre. Chez eux, la circonspection, voire le pessimisme, fait contre-poids aux envolées lyriques des laudateurs des constructions politiques, qui ont vécu au chaud l’après-guerre, à l’ombre du parapluie américain.
Enfin, les citoyens de l’Est n’ont pas oublié que c’est le génie de leur ressources culturelles nationales qui leur ont permis de résister aussi longtemps au décérébrage de l’idéologie marxiste-léniniste.
Des pays qui apprennent de nos échecs
La deuxième cause de l’euroscepticisme de certains pays de l’Est tient au regard extérieur qu’ils portent sur l’évolution des contrées occidentales de notre continent. En fait, il s’agit d’une appréciation similaire à celle qui les ont poussés à adhérer à l’UE. Dans un premier temps, les anciens satellites de l’URSS ont compris assez vite qu’il était de leur intérêt à rejoindre une Union qui leur garantissait prospérité et dynamisme.
Cependant, ils n’ont pas tardé à remarquer les défauts de la cuirasse de l’Union telle que Bruxelles la rêve, et à constater des évolutions qu’ils ont jugées fâcheuses au sein des pays de l’Ouest. C’est surtout la difficulté qu’éprouvent ces derniers à intégrer leurs populations immigrées, qui a persuadé les nouveaux entrants à se montrer plus vigilants en ce qui concerne le contrôle de leurs frontières. La crise des migrants, consécutives à la guerre en Syrie, et les déconvenues qu’elle a coûtées à Angela Merkel, n’ont fait que renforcer leur détermination à serrer les vis sur ce terrain. Les cris d’orfraies poussés par les belles âmes à la suite de leur détermination, ne les ont pas détournés de leur volonté de continuer sur la voie d’un conservatisme et d’un souverainisme quant à leur politique migratoire. Ces pays, passés sous le laminoir du totalitarisme communiste, en ont vu d’autres !
En un sens, les pays de l’Est ressemblent à un fils cadet qui, s’arrêtant un instant, et désirant juger de la conduite à tenir, s’aide pour cela des erreurs qu’il a vues son aîné commettre, et décide d’en prendre le contre-pied afin de ne pas les reproduire pour son compte.
La peur d’avoir à renier leur passé
Le conservatisme assumé des pays de l’Est découle également du reniement, assumé par les membres fondateurs de l’Union, des racines chrétiennes de notre continent. Or, comme je le soulignais plus haut, ces pays sont conscients d’avoir survécu au rouleau compresseur du communisme, grâce aux richesses de leurs traditions religieuses et culturelles.
Constatant l’indifférence, voire le mépris, dans lequel les élites occidentales tiennent les racines chrétiennes de leurs pays respectifs, les nouveaux venus n’ont aucune envie de leur emboîter le pas sur ce terrain. Pour eux, c’est non seulement une question de reconnaissance spirituelle, mais aussi existentielle, voire de survie pure et simple.
Les conservateurs des pays de l’Est découvrent avec stupéfaction l’écart grandissant entre l’idéologie sans-frontièriste des élites occidentales, et les aspirations des peuples, ainsi que le mépris subséquent dans lequel les premières tiennent les seconds. Aussi les courants conservateurs des pays de l’ancien bloc communiste ne s’estiment-ils pas du tout en retard par rapport au « train de l’Histoire ».
L’utopie européenne leur apparaît comme la tentative de construction d’un Humanité sans traditions ni culture propres. Les pays de l’Est, qui savent, parce qu’ils l’ont appris dans leur chair, que l’on ne résiste pas aux forces hostiles avec la seule force d’abstractions et de pétitions de principe, se méfient d’une construction politique qui ne sait pas trop où elle va en raison de sa volonté de fermer les yeux sur ses racines. Pour beaucoup d’ européens de l’Est, L’UE ressemble à une maison ouverte aux quatre vents, un carrefour de courants d’air sans consistance propre.
Nécessité de l’Europe
Ne sous-estimons pas le fossé qui s’est creusé entre les deux parties de notre continent. Cependant, rien n’est irrémédiable. Il est surtout à souhaiter que les anathèmes feront place, de part et d’autre, à la compréhension. Ce qui nous rassemble est bien plus fort que ce qui nous divise. Surtout qu’à l’heure de la mondialisation et de la gobalisation, l’Europe représente plus une chance qu’un handicap.
Formulons le voeu que, de même que les pays de l’Est ont appris de nos erreurs, la construction européenne tire pareillement des enseignements profitables de la vague conservatrice qui nous arrive de l’est du continent.
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