L’art en voie de démocratisation
Tous créateurs … ? L’hypermodernité se veut « créative ». Mais à la différence des époques antérieures, elle désire ne pas réserver la « création » aux seuls artistes officiels. Désormais l’art doit se démocratiser pour de bon. Plus : il doit quitter les musées, les espaces de représentations officielles, l’entre-soi académique. La création investit maintenant la rue, la vie quotidienne, l’école.
Le manque de talent sera-t-il un obstacle ? Pas du tout, dès l’instant où le geste, le travail, le libre court laissé aux « pulsions créatrices », priment l’oeuvre, le résultat. La création est dans l’acte, non dans ce dont il accouche. La subjectivité de l’artiste a plus d’importance que l’objectivité de son oeuvre. De cette façon l’hypermodernité espère-t-elle rompre avec le culte de l’ « Auteur », qui, en l’érigeant sur un piédestal, en faisait un homme d’une essence différente des autres.
Réveiller l’artiste en nous
L’ « art pour tous » tend à démythologiser la création, la faire redescendre dans le quotidien. Il s’agit de réveiller l’artiste qui sommeille en chacun de nous, de réactiver notre génie intérieur. L’art ne doit plus être confiné dans des espaces d’exclusion, réservés à une élite. Il faut l’ouvrir à la vie ; et inversement, il est plus urgent que jamais de déceler, de révéler l’art qui se cache dans nos existences de tous les jours.
Dans cette nouvelle conception de la création, le créateur occulte complètement son oeuvre. Celle-ci n’est plus qu’un prétexte au déploiement de la geste du prétendu l’artiste . Le sujet vampirise totalement l’objet. L’oeuvre doit s’effacer devant le geste qui l’a suscitée. Au fond, qu’elle soit réussie ou mal exécutée, géniale ou non, importe peu. Seule a de l’importance la manifestation extérieure de l’élan créateur du « créateur » autoproclamé.
De quoi une telle attitude est-elle le signe ? Elle trahit une époque qui s’est résignée à la déconnexion de la liberté et de la vérité. Le désir est devenu une fin en soi. Son objet n’a d’importance qu’autant qu’il permet de le stimuler. Que la réalité vers laquelle se porte ce désir soit juste, belle, en accord avec la nature profonde du sujet, ou bien trivial, voire vulgaire :
tout cela n’a d’ importance que secondaire.
La vérité sacrifiée à la liberté ?
D’après ce nouvel air du temps, la vérité n’est plus située à l’extérieur du sujet, ou antérieure à lui : elle lui est inhérente. Si bien que ce qui compte pour cette doxa, ce n’est pas l’oeuvre, mais l’ardeur que son « créateur »a mise pour en accoucher. Peu importe le résultat. La vérité de l’oeuvre est secondaire par rapport à la liberté dont a fait montre celui qui l’a réalisée. La création a vocation à disparaître derrière son démiurge.
Pourquoi un tel primat du geste soi-disant « créateur » par rapport à la beauté de l’oeuvre ? C’est que la « création », par son objectivité, est encore trop « discriminante ». L’ oeuvre en effet est susceptible d’être jugée, évaluée. Elle porte la marque d’une époque inégalitaire.
Désirant démocratiser la création, notre modernité tardive est fatalement amenée à privilégier le geste au détriment du contenu, le sujet par rapport à l’objet, l’élan « créatif » par rapport à l’oeuvre, et, au final, la liberté au détriment de la vérité. Cependant, la démocratisation de la création ne doit pas devenir un prétexte pour immoler le Vrai et le Beau sur l’autel de l’Egalité. Ce serait faire injure au public populaire et à ses attentes.
Photos d’illustration
Vélo sur un mur … Mr BMX, artiste inconnu et et énigmatique qui a accroché plus de 40 vélos sur les murs de Montpellier.
Sandrine Estrade Boulet, une artiste en apesanteur dans une dimension entre rêve et réalité.
Article sur le même thème de l’auteur Tourisme et Culture
Discussion à propos de ce post