Qui se souvient encore de Jean-Paul Delevoye ?
C’est peu dire que notre époque était mal préparée au retour du tragique. Individualisme, économisme, technocratie, présentisme, hédonisme : tout nous portait à croire que l’avenir serait de plus en plus radieux, que rien n’arrêterait le progrès, que les seules incertitudes relevaient de simples variables d’ajustement, chiffrées et maîtrisables à loisir par nos experts comptables. Exceptés quelques djihadistes excités, tout le monde semblait d’accord pour bâtir son petit bonheur dans son coin.
Le seul point de désaccord entre nous résidait dans le mode de calcul de nos retraites, comme si celle-ci étaient acquises de toute éternité par décret divin. Nous étions tous des retraités en puissance, et ce dès le plus jeune âge.
Et puis, patatras ! Voilà que ce maudit virus, invisible et microscopique est venu gripper la vaste et belle mécanique de la mondialisation ! Tout est à repenser !
Un nom résume à lui seul notre aveuglement : Jean-Paul Delevoye, cet éminent fonctionnaire qui plancha durant cinq ans sur nos régimes de retraite et leurs modes de calcul très compliqués. Un fonctionnaire qui fit la une des journaux dans la dernière ligne droite de la réforme – avant de se faire débarquer pour d’obscures raisons de rémunérations multiples ! Cinq années d’effort anéanties par un virus invisible !
Coronavirus : La fin de l’individu-roi ?
Après la réforme des retraites, le coronavirus aura-t-il la peau de l’individu-roi, cet éternel adolescent qui se complaît dans son statut de victime ? Obsédé par l’obtention de droits, il a jusqu’à présent fait passer le collectif après la satisfaction de ses désirs immédiats, aidé en cela par l’idéologie qui voyait des abus autoritaristes partout. La crise sanitaire fera-t-elle entendre raison à ce rebelle en peau de lapin ?
Il est certain qu’actuellement, l’épidémie contraint nos désirs à se plier aux injonctions du collectif avec l’obligation du confinement. C’est un peu la revanche de la communauté sur l’individu. Cet état d’esprit survivra-t-il à l’éradication de la pandémie ? Nul ne peut le dire. Attention aux promesses d’ivrogne !
Retour en grâce de l’autorité grâce au coronavirus?
L’autorité ne sera acceptée, dans son principe comme dans les personnes qui l’incarnent, que si ces dernières sont capables de répondre de leurs décisions devant le tribunal de l’histoire. Sinon, comment en appeler à la loyauté de l’individu à l’égard de la communauté, et plus globalement au sacrifice de ses désirs personnels sur l’autel de la patrie et du bien commun ?
Le tragique ne va jamais sans amputations déchirantes. Avant d’être un thème littéraire ou philosophique, le tragique est une réalité qu’il serait vain de résumer et de faire contenir dans un exercice de style ou un devoir de synthèse pour concours administratif.
La mort aux trousses
La laïcité a ceci de commode qu’elle répartit les rôles et les domaines de compétence entre institutions. Aux politiques, la vie et ses contingences, et aux religions et ses ministres, la mort et ses rituels. Malheureusement, la crise sanitaire a rebattu les cartes.
Les religieux donnent leurs avis et leurs conseils spirituels sur Skype, tandis que, de son côté, l’Etat laïc se retrouve en première ligne face à la mort. « Nous sommes en guerre » a martelé le Président. La politique regarde de nouveau la mort en face – au moment même où les obsèques se déroulent en catimini !
Le tragique est de retour. La mort a pris de vitesse, et par surprise, nos cinq cents (et des poussières) députés. Et je ne parle pas du Parlement européen ! Comme un pied de nez au somnanbulisme de ceux qui se croyaient confinés éternellement à la gestion des affaires courantes…
Les politiques s’initient à la visioconférence en attendant des jours meilleurs. La pandémie aura consacré la sociabilité numérique. Il est à espérer que nous pourrons nous retrouver bientôt autour d’un bon demi, sans écrans interposés…
Soumis comme tous les Français au régime de confinement, en guise de requiem, je repense encore et toujours à Jean-Paul Delevoye, figure emblématique des vanités humaines. Son sort est similaire à celui des ministres réformateurs de Louis XVI, dont le torrent de la Révolution emporta les noms dans l’oubli. « Des travaux inutiles, libère-nous… »
Jean-Michel Castaing
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