Transhumanisme … un danger ?
Sans vérité, tout est permis
Pour quelles raisons profondes l’idée est venue à certains ingénieurs de la Silicon Valley de vouloir « augmenter » l’humain, ce que l’on appelle le transhumanisme ? Plus exactement : qu’est-ce qui a rendu philosophiquement possible cette quête du posthumain, ce désir de dépasser l’homme, couplé à la conviction préalable de notre obsolescence ?
C’est que notre modernité tardive n’est plus très au clair avec la conception qu’elle se fait de l’homme, de ce qu’il est. Par exemple, la théorie du Gender ne fait plus dépendre le masculin et le féminin de la réalité biologique de chacun. Dans ces conditions, quelle place tient la dimension incarnée dans notre vie, et plus fondamentalement dans notre identité ? L’idéologie postmoderne a fait de l’homme un vivant aux contours indéterminés, désincarné.
Désormais l’ « homme » est censé se construire lui-même. Telle est la plus grave conséquence de la dissociation de la vérité et de la liberté. Dissociation que le « moment historique » de la postmodernité que nous vivons , a voulu consacrer comme un signe majeur d’ « émancipation ». Selon l’idéologie du constructivisme (qui porte ce projet d’auto-construction), il n’y aurait pas en effet de « vérité de l’homme ». Conséquemment, tout est permis.
Cet exorde sur la prééminence postmoderne de la liberté sur la vérité était nécessaire afin de garder en mémoire la provenance philosophique de ce qui va constituer la course à la démesure du transhumanisme. En effet, dès lors que l’homme est une réalité « en devenir », sans limites préétablies, il va devenir licite de se lancer dans toutes les expérimentations sur lui. Ainsi est né l’utopie du cyborg, ce mixte de biotechnologie et de cybernétique avec lequel le transhumanisme désire bricoler un homme nouveau.
Le miroir aux alouettes de « l’homme augmenté »
Dans un second temps, après avoir dissocié la liberté de toute vérité antécédente, le transhumanisme, afin de mener à bien ses projets, s’est trouvé dans la nécessité d’ignorer toute idée de mesure, de limites. C’est à cette condition qu’il est devenu capable de nous laisser miroiter la fin de la mort, de la maladie, ainsi que la démultiplication de toutes de nos facultés : santé à toute épreuve, mémoire infinie avec greffe d’implants de composants électroniques sur le cortex et téléchargement de nos cerveaux.
Le transhumanisme fait ainsi voler en éclat notre idée de l’homme comme être fragile, qui doit apprend la sagesse de sa finitude essentielle. Toutes les anciennes déterminations ayant été récusées au nom d’une liberté devenue folle, l’homme n’est plus ni « homme » ni « femme » : il choisit son « genre » selon son « orientation » sexuelle. Dans un autre domaine, il aspire à l’immortalité en plaçant son espoir dans les progrès formidables des nouvelles technologiques : nanotechnologique, informatique, intelligence artificielle, robotique.
Tout ce qui est possible est-il souhaitable ?
D’après un tel scénario, le possible semble être devenu le souhaitable. Cependant, devant cette tentation de la démesure, l’homme ne devrait-il pas faire une halte ? Pour commencer, il s’agira de retrouver le sens de la mesure, c’est-à-dire de maîtriser notre propre pouvoir, de façon à reprendre la main dans cet élan illimité vers toujours plus de trouvailles technologiques et scientifiques. En fait, l’homme n’est capable de rester lui-même qu’en conservant le sens des limites, en gardant la maîtrise de cette surenchère techno-scientifique imposée par la course au progrès que nous avons initiée, et qui a fini par nous échapper.
Si nous ne renouons pas avec l’antique sagesse de la mesure et de la finitude, le malheur nous attend, sous la forme d’un désir toujours plus insatiable, d’une déception de plus en plus insupportable. Cela, toutes les philosophies le savaient, qui faisaient de l’hubris et de l’orgueil la première source de malheur pour l’homme.
L’homme ne peut continuer à transgresser continuellement la nature sans qu’il en paye un jour ou l’autre le prix. Il n’est pas perfectible à l’infini dans sa réalité matérielle et biologique. Certes, il est plus que louable de lutter contre la maladie. Mais laisser croire qu’un jour la mort sera vaincue tient plus de la supercherie que de la prospective. Ou bien alors, il ne s’agira plus de l’homme. Ce dernier aura été remplacé par le cyborg. Nous ne seront plus humains.
Ce « cyborg » sera-t-il par exemple capable de sentiments amoureux, de se sacrifier pour sa bien-aimée ? Aura-t-il encore un sexe ? Serons-nous encore homme ou femme? Ou bien aurons-nous muté en une espèce androgyne ? Et dans la perspective de l’avènement de cette espèce, quelle forme y prendra l’amour ? Existera-t-il même un sentiment amoureux ? Si nous sommes tous androgynes, (dans le but de dépasser la « mesure » de la différence des sexes), pourrons-nous aimer celui ou celle qui sera le (la) même que nous ? L’amour ne présuppose-t-il pas une différence ?
Un contre-feu à la démesure : l’amour de soi
Devant la tentation de la démesure, notre modernité tardive a tout intérêt à discerner entre les possibles, afin de choisir entre ceux qui favorisent notre humanisation, et ceux qui risquent de nous transformer en simples machines. Nous devons résister à la tentation de vouloir nous « augmenter » sans cesse. Pour cela, la meilleure solution consiste à redécouvrir la beauté de l’être humain. Cessons de geindre devant notre finitude, et émerveillons-nous devant les merveilles que nous sommes. Nous n’avons pas à rougir de notre faiblesse, de notre fragilité. L’homme est beau, non pas malgré elles, mais en elles.
En définitive, la course à la démesure du transhumanisme est le fruit du nihilisme moderne. Nous sommes devenus insatisfaits de nous-mêmes. Nous ne nous aimons pas. Voilà la raison principale pour laquelle nous désirons nous « augmenter », nous affranchir de toutes les contraintes de la nature. Ici encore, les monothéismes juif et chrétien, en nous révélant un Dieu bon, Créateur de l’homme à son image et ressemblance, constitueront le meilleure antidote contre cette démesure mortifère qui désire en finir avec l’homme afin qu’advienne à sa place le « posthumain ».
Assumer ses limites
La nature humaine n’est pas un carcan, ni une pré-programmation qui corsèterait notre liberté. Elle représente plutôt la condition dynamique de notre épanouissement. Aussi, n’est-ce pas en cédant aux sirènes d ‘une liberté voulant construire l’homme à partir de rien, dans une surenchère de moyens que la techno-science met à sa disposition, que ce même homme accèdera au bonheur.
Il n’y parviendra au contraire qu’en se connaissant soi-même. Or, il ne sera capable de se comprendre qu’en assumant ses propres limites, sa finitude. Nous sommes homme ou femme, nous sommes mortels, nous sommes nés dans tel pays particulier, nous avons une langue maternelle précise : ne pas intégrer, mentalement comme spirituellement, ces limites, c’est se mentir à soi-même. De même, nous ne sommes pas autarciques, des hommes-machines, chacun sur son île : nous avons besoin des autres pour arriver au bonheur.
Le respect de la mesure, la maîtrise de nos propres désirs, la reconnaissance de nos limites : telles sont les conditions qui permettront à l’homme de recouvrer la liberté qu’il a aliénée en se jetant dans les bras d’un prométhéisme dont il devient chaque jour un peu plus esclave des possibles. Comme nous le disons plus haut, ceux-ci ne sont pas toujours souhaitables. Toutes les avancées de la techno-science ne possèdent pas leurs corollaires dans le domaine spirituel et moral.
Si nous désirons acquérir la recette de l’ « augmentation » de la joie d’être au monde, nous aurions tout intérêt à retrouver au préalable le chemin de la sagesse des limites inhérentes à notre condition.
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