Se regarder le nombril n’équivaut pas à l’amour de soi
Soumis au terrorisme intellectuel de la repentance obligatoire (pour cause de colonialisme, machisme, sexisme, racisme, etc), l’Occidental moyen, fatigué, culpabilisé, dévirilisé, a perdu toute velléité de revenir à soi par la médiation d’un héritage culturel. En lieu et place de cette quête salutaire, il s’est mis en tête de cultiver son petit ego, ce qui est tout différent.
L’individualisme postmoderne a fait de cet épanouissement personnel un mot d’ordre qui ne risque pas de tomber dans des oreilles distraites. Toutefois ce légitime « souci de soi », n’étant arrimé à aucune tradition historique solide, à aucun héritage clairement revendiqué, court le risque de finir sa course dans la lassitude et le dégoût de soi.
En effet, lorsque vous avez envoyé par-dessus bord la culture qui précisait qui vous étiez, culture qui vous fournissait de surcroît une espérance en ne vous laissant pas dans le flou quant à ce que vous pouviez devenir, il est logique que vous vous retrouviez désemparé à l’heure des grandes questions existentielles. Car personne n’est capable, tout seul dans son coin, de tout se donner à soi-même. S’il désire aller le plus loin possible dans l’existence, l’individu hors-sol postmoderne serait bien inspiré d’accepter au préalable ce qui est « déjà là », ce qu’il n’a pas choisi, par exemple son corps sexué, la langue et l’histoire de son pays.
Positivez, c’est un ordre !
Voilà pourquoi les succès du New Age sont en trompe-l’oeil. Les stages de remise en forme, ou de dévoilement du « potentiel humain » enfoui en nous, ne nous rendront pas plus forts pour affronter les grandes épreuves de l’existence, malgré toutes les injonctions à « positiver » lancées par leurs gourous. Un seul exemple, pris dans la multitude de pratiques de ces nouvelles modalités de développement de nos « potentialités », illustrera la validité de cette thèse.
Le New Age nous intime l’ordre de « retourner à notre corps » que la tradition judéo-chrétienne aurait, selon lui, méprisé. Ne soyons pas dupes de tels slogans ! Dans l’exploration de la « profondeur du corps », on devine sans peine un profond dégoût surmonté à l’égard de notre corporéité, ainsi qu’une échappatoire aux questions existentielles. Comme si dans cette « profondeur », qu’il s’agit de rejoindre, résidait une crique de salut, à l’écart du reste du monde, qui nous permettrait d’oublier notre condition mortelle et contingente.
Comme si le souci de la « profondeur de notre corps » nous exonérait de réfléchir à notre inscription dans un tissu relationnel au sein duquel notre corps ne représente pas seulement un petit îlot à sauvegarder, mais l’expression exposée de toute notre personne aux regards des autres, comme à leurs demandes. Le corps n’est pas simple affaire personnelle : il est prise de risque, responsabilité, commerce (heureux, moins heureux, ludique ou sérieux) avec les autres.
Se fuir soi-même
Fatigué de soi, l’individu postmoderne cherche sinon une porte de sortie, du moins une aire de repos. Car il a beau répété sur tous les tons son attachement à soi, cette visée programmatique tient plus de l’incantation que de la réalité. Les addictions diverses et variées : drogue, alcool, télé, Internet, fêtes, bruit, divertissements tout genre, constituent en fait l’expression d’un malaise profond, ainsi que des occasions de fuite de soi dont nous constatons chaque jour davantage la généralisation.
Non seulement le nihiliste « malgré lui » ne sait plus qui il est, mais de surcroît il tente par tous les moyens de se fuir. Bien sûr il n’avouera jamais : « je suis fatigué de moi-même », ou bien « j’essaye d’échapper à moi-même » ; il se contentera de plastronner : « je m’éclate ». Mais derrière ce goût de la « teuf » se dissimule une réalité beaucoup moins réjouissante.
Il faut entendre ce profond malaise et démontrer au citoyen postmoderne que la quête d’une identité forte, héritée des traditions culturelles de notre histoire, n’est pas exclusive de l’ouverture aux autres et à la modernité.
Jean-Michel Castaing
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