Notre époque est obsédée par la volonté de se libérer des structures et des idéologies qui porteraient atteinte aux libertés individuelles. A l’instar de Don Quichotte partant en guerre contre les moulins à vent qu’il prenait pour des géants maléfiques, notre modernité tardive, par une hallucination similaire à celle du héros de Cervantès, croit deviner des attaques contre la liberté dans toutes les traditions et nos moeurs culturelles.
Une susceptibilité maladive
Dernier exemple en date de cette obsession : le gouvernement des Pays-Bas vient d’annoncer que les cartes d’identité ne mentionneraient plus désormais le sexe des personnes. Il s’agit « d’éviter la mention inutile du sexe ». Pour justifier cette décision, les autorités néerlandaises invoquent la lourdeur bureaucratique.
En fait, la cause première de cette mesure réside dans la pression revendicatrice des minorités sexuelles qui ne sentent ni hommes ni femmes et qui ne se reconnaissent pas dans cette structuration binaire de l’humanité. Ces minorités éprouvent la différenciation homme-femme comme une assignation insupportable et une limitation de leur liberté liquide. Selon elles, la dichotomie masculin-féminin serait une prison pour les personnes qui revendiquent une sexualité située au-delà des genres traditionnels. Cette mesure du gouvernement batave s’inscrit de la sorte dans le prolongement d’une lutte plus large pour la libération tous azimuts des individus.
Comment expliquer cette idée fixe ? L’homme postmoderne perçoit dans tout ce qui existe les traces d’une aliénation ou d’une servitude dont il doit se libérer.
Après le racisme systémique de l’Etat français, les « micro-agressions » dont seraient victimes les minorités ethniques ou sexuelles, les rémanences du colonialisme chez les occidentaux comme dans les pays jadis sous leur dépendance, les militants s’attaquent maintenant à la persistance des représentations mentales de la réalité coloniale en 2020 pour mieux s’en déprendre. Cette obsession de libération finit par tourner à vide, en cherchant le moindre prétexte pour se perpétuer. Des groupuscules traquent le moindre signe d’aliénation pour justifier la continuation de leur « lutte ». Le monde, selon eux, se divise entre oppresseurs et victimes, et il n’y a aucune raison pour que cela cesse, surtout pour ceux qui en font leur fonds de commerce.
Se libérer de la nature
Cependant, cette volonté de libération ne s’arrête pas à la destruction des structures de domination historique. La lutte des épigones des libérateurs des siècles passés s’étend désormais jusqu’aux données naturelles ! Par exemple, le fait que l’humanité se divise entre hommes et femmes, entre genres masculin et féminin, est considéré comme une oppression objective insupportable. A ce titre, certains activistes se proposent de supprimer cette donnée naturelle. Il en va de même avec les modalités de procréation. Qu’un enfant ait besoin d’un homme et d’une femme pour venir au monde est perçu comme une atteinte intolérable au principe d’égalité par les personnes qui vivent seules, ou par les couples de même sexe. Dans ces cas, la libération prendra la forme de la PMA (procréation médicalement assistée) ou de la GPA (gestation pour autrui).
Dans tous les cas, cette obsession de la libération des structures soi-disant « oppressives » débouchera sur un combat contre les forces de la tradition ou des lois naturelles qui ne font pas droit au désir d’égalité des minorités. Dans toute réalité, dans toute définition, cette mentalité ne discerne qu’une assignation, une limite qui brime le quémandeur compulsif de « droits ». Toute détermination, qu’elle soit posée par la nature, la société, la tradition ou les conventions sociales, est vécue par notre forcené de la libération à tout prix comme un démenti cinglant et stigmatisant de son désir de s’auto-construire sans lien ni filiation.
Liberté : une quête qui tourne à l’enfermement sur soi
Une fois qu’une revendication a été satisfaite, loin de s’en contenter, et afin que sa volonté compulsive ne se retrouve pas à court d’objet, notre soldat de l’émancipation tous azimuts part aussitôt en quête de nouveaux combats. A cette fin, il fait aussitôt la chasse aux nouvelles formes d’oppression. Si bien que cette obsession se met à tourner à vide, en devenant elle-même pour le vaillant militant une… oppression psychologique ! Le pourfendeur des structures asservissantes finit par devenir son propre bourreau !
« Je suis la plaie et le couteau ! Je suis le soufflet et la joue ! Je suis les membres et la roue, Et la victime et le bourreau ! »
(Baudelaire, L’Heautontimoroumenos)
De même que certaines victimes sont fascinées par leurs tortionnaires, et nourrissent à leur égard des sentiments ambigus, ambivalents, de même l’obsédé de la libération ne voudrait pour rien au monde que les moulins à vent imaginaires qui l’oppressent dans son univers halluciné, ne disparaissent ! Voilà pourquoi il est à la recherche constante de motifs de plainte, de nouveaux suppôts du racisme ou de l’humiliation des femmes. Les seules chaines que notre monomaniaque de la libération désire ne jamais briser, sont celles qui l’attachent à ses adversaires politiques et aux oppresseurs présumés de victimes qu’il aspire à prendre sous son aile paternaliste.
« Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée : C’est Vénus tout entière à sa proie attachée. »
(Racine, Phèdre)
Certes, cette obsession de libération reste un phénomène numériquement marginal. Cependant, étant portée par des activistes très motivés dans les médias comme sur les campus universitaires, son poids politique n’est pas à négliger.
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