Carmen … politiquement correct ?
Contrairement à ce que ce machiste-sexiste de Mérimée avait initialement romancé, c’est bien à Carmen de trucider Don José, et non l’inverse ! Ainsi en a décidé le metteur en scène du plus populaire des opéras, au théâtre de Florence, en ce début d’année 2018. Le motif de ce changement dans le dénouement de l’intrigue ? Il est immoral d’applaudir le meurtre d’une femme par un homme. Par conséquent, il est parfaitement logique, pour les nouveaux maîtres censeurs, de réécrire la scène finale de l’opéra de Bizet.
Balancetonpersonnage#
Cet énième épisode du bourrage de crâne du politiquement correct a franchi un nouveau cap. Ce ne sont plus uniquement les personnages historiques réels du passé qui doivent maintenant rendre des comptes au nouveau magistère moral de la bien-pensance, mais également les personnages de fictions, ainsi que les intrigues au sein desquelles ils évoluent ! Et comme notre séquence historique se déroule sous le signe de l’affaire Weinstein et de balancetonporc#, gare aux dérapages sexistes, et sus aux atteintes aux droits des femmes dans les oeuvres d’art, passées, présentes et futures !
Retour de la censure
Sous ce rapport, l’opéra en général est mal placé pour obtenir l’agrément des censeurs. L’essayiste Catherine Clément avait écrit jadis un livre intitulé : L’Opéra, ou la défaite des femmes. C’est dire si ce genre de création artistique se trouve maintenant sur la sellette ! Un commissariat à la réécritures des livrets des oeuvres lyriques verra-t-il le jour prochainement ? Au train où vont les choses, tout est possible. D’autant plus que ce n’est pas seulement le sort réservé à la moitié de l’humanité qui fait l’objet de la surveillance ombrageuse des nouveaux commissaires culturels. L’hygiène et la santé publique sont également dans leur collimateur. Pure coïncidence : c’est la même oeuvre de Bizet qui a fait les frais de cette dernière obsession. En effet, l’opéra de Sydney vient de déprogrammer Carmen, au prétexte que l’héroïne était cigarettière ! Au nom de la lutte contre le tabagisme, il s’agit de ne plus mettre en scène, et donc en valeur, un personnage dont le tabac est le gagne-pain !
Déni du mal
Ce puritanisme maladif est-il plus comique que dangereux ? On aurait tort de prendre trop à la légère ces toquades pour l’épuration des oeuvres d’art. Parmi les motifs inquiétants qui motivent ces censeurs, figure la croyance que l’homme est capable de venir à bout, à plus ou moins brève échéance, de tout le mal qui se commet sous le soleil, à condition de désigner à la vindicte populaire la mauvaise portion de l’humanité qui persévère à préférer les ténèbres aux lumières. Ce manichéisme des plus simplistes n’est pas seulement une insulte à l’intelligence. Il recèle en lui une pulsion lyncheuse dont il serait téméraire de sous-estimer les effets sur les esprits et les moeurs.
Hier, les propos des hommes publics étaient surveillés à la loupe. Aujourd’hui, les oeuvres d’art sont soigneusement auscultées dans le but de les expurger des passages qui contreviennent à la nouvelle Morale. Et demain, à qui le tour ? Aux échanges sur les réseaux sociaux, grâce à la vigilance d’une police de la Vertu numérique, et de ses affidés délateurs ?
Parier sur l’intelligence des Français
Ce qui nous protège encore de cette folie lyncheuse, c’est sa tendance trop voyante à prendre les gens pour des imbéciles. En effet, les Français, qui restent encore rationnels, savent faire le distinguo entre un personnage de fiction et une personne réelle. Et ils ne sont pas près de gober que le Secrétariat d’Etat à l’égalité entre les hommes et les femmes va résoudre à lui seul les malentendus et les causes polymorphes de discordes entre les sexes !
Les Français sont bons enfants. Pourvu que ceux qui accordent créance à ces calembredaines ne les importunent pas tous les quatre matins en investissant les médias et les cercles du pouvoir, et ceci dans le but de se mettre en position d’interdire, de censurer, de trier et de réécrire ce qui ne s’accorde pas, dans l’art comme dans la vie réelle, à leur credo manichéen et aseptisé. L’art est un révélateur. Ne prenons pas les effets pour les causes ! C’est la moindre des marques de politesse à témoigner au public.
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