Mai 68 : Date de commémoration à éviter ou non ?
Dans certains cercles du pouvoir, on s’interroge sur l’opportunité de commémorer Mai 68. En règle générale, ce sont les victoires qui sont l’objet des commémorations. Mai 68 en est-il une ?
Volte-face
Pour cela, il faudrait que les généraux qui ont conduit la bataille ne renient pas leur combat de jadis. Or, force est de constater que nombre de révolutionnaires, troskystes ou maoïstes, ont rangé depuis belle lurette leurs panoplies, et autres bérets du Che, au vestiaire, et cela afin de revêtir des costumes trois pièces plus respectables, qui dans les médias, qui dans les affaires, qui dans la politique traditionnelle.
Les vaillants pourfendeurs du capitalisme se sont coulés sans fausse honte dans les fonctions les plus honorables de la Cinquième République, eux qui avaient pourtant juré la perte du Général ! Aussi, peut-on à bon droit s’interroger : est-ce une victoire que l’issue d’une bataille dont les généraux qui l’ont conduite sont tous passés à l’adversaire ?
Contre qui se battaient-ils, d’ailleurs, ces révolutionnaires en chambre ? La société de consommation ? Elle triomphe. Le capitalisme ? Il n’a jamais été aussi puissant. La bourgeoisie ? Ils ont rejoint ses rangs, les codes de politesse en moins. Les patrons ? Jamais les inégalités n’ont été aussi grandes.
La censure culturelle d’Etat ? Nul ne peut plus dire ce qu’il pense de nos jours, sous peine d’être attaqué par des ligues de vertu, qui vous accuseront de sexisme ou d’islamophobie. L’auto-censure est désormais de mise, autant chez les politiques que chez les journalistes.
Le puritanisme ? Même Libération appelle à la délation contre les dragueurs qui ont le désavantage d’être à la fois lourds et insistants ! Il semble loin le temps où toutes les « expériences » étaient possibles et souhaitables en ce domaine ! Le quotidien de gauche est devenu plus pudibond que la police de la Vertu du Hamas !
Une victoire pour l’économie de marché
Mai 68 vantait l’ouverture à tous les possibles. Il semble que ses voeux n’aient été exaucés qu’en matière économique. Car c’est bien les riches qui devraient fêter les « événements » avec le plus d’ardeur ! La libération de tous les « possibles » de l’ultra-libéralisme leur a été bien plus profitable qu’à n’importe quelle autre catégorie sociale !
D’ailleurs, mai 1968, en accélérant le processus d’individualisme, leur a livré une main d’oeuvre esseulée et bien docile, elle qui n’est plus soutenue par aucune des solidarités traditionnelles : syndicats, églises, cellules militantes. Aujourd’hui, le chercheur d’emploi se retrouve seul avec son CV. Ce n’est pas lui qui a gagné au change de la libération de « tous les possibles » ! Cohn-Bendit, idiot utile du CAC 40 ?
Slogans de Mai 68
Pour bien juger si mai 1968 représente une victoire à commémorer, le mieux est encore de s’aider des slogans célèbres qui ont émaillé la révolte, afin de trancher la question.
« Sous les pavé, la plage ». Mais jamais les villes n’ont été aussi tentaculaires et impersonnelles qu’aujourd’hui ! Allez demander aux habitants des « cités sensibles » s’il se trouve du sable sous l’asphalte des parkings qui longent les barres d’immeubles !
Certes, il y a « Paris Plage » pour les habitants fortunés et boboïsés du Paris intra-muros. Mais l’espace d’un mois d’été uniquement ! Et ce n’est pas la reconquête des voies sur berges de la Seine qui transformera la capitale en Copacabana ! Ou bien, si on entend par là que la vie est devenue un divertissement perpétuel, et qu’il suffit de gratter la surface dépolie de la vie quotidienne pour tomber sur des existences paradisiaques plaquées or, ici aussi la prévision s’est avérée fausse de bout en bout. Certes, la France à accueilli entre-temps Disneyland, mais jamais les antidépresseurs ne sont jamais aussi bien vendus.
« Il est interdit d’interdire. » Là encore, quelle imposture ! Allez répéter ce mot d’ordre au prof qui peine à faire respecter l’ordre dans sa classe, au point de passer plus de temps à faire la police qu’à dispenser son cours ! Ce prof qui voit son enseignement passé à la trappe parce que les parents de ses élèves se sont interdits d’interdire à leurs gamins d’être désobligeants, discourtois, impolis et irrespectueux envers lui !
Il serait « interdit d’interdit », alors qu’on ne sait plus comment rétablir l’autorité dans l’Education Nationale, et le lien de confiance envers les détenteurs de cette même autorité : policiers, magistrats, pompiers, représentants élus, etc. Et s’il est interdit d’interdire, en vertu de quoi empêcherait-on le jeune de partir faire le djiad, si c’est « son désir » et « son droit » ?
« Interdit d’interdire », alors que les lois, les recommandations et les règlementations de tout poil, pleuvent dru sur nos quotidiens ! Moins de sel ! Moins de gras ! Moins de sucre ! Moins de tabac ! Cinq légumes par jour ! Moins d’alcool ! Interdit de draguer lourdement ! Laissez la porte ouverte en cas d’entretien mixte ! Interdit de critiquer certaine religion sous peine de procès ! Surveillance de votre bilan carbone ! Vous avez dit : « il est interdit d’interdire » ?
« CRS-SS ». Le slogan stupide par excellence. Parlez-en à notre rebelle national, Renaud, lui qui chantait, après les attentats parisiens, « J’ai embrassé un flic » ! Comparer les gardiens de l’ordre républicains aux tueurs du national-socialisme : Mai 68 a été mieux inspiré !
« Jouissez sans entrave ». Là encore, les promesses n’ont pas été tenues ! Certes le porno explose, et avec lui l’addiction de notre jeunesse à des pulsions basiques, qui à la longue véhiculent chez elle une vision bestiale des rapports entre les sexes.
Explose aussi les profits de l’industrie qui exploite ce filon qu’on nous vantait comme un innocent divertissement, jusqu’à ce qu’il soit licite de #balancersonporc. « Jouir sans entrave », alors que la moindre remarque sur le galbe des jambes d’une femme politique peut vous valoir une assignation en justice, et vous attirer les foudres de censeurs zélés et expéditifs, à côté desquels les inquisiteurs médiévaux passeraient pour des procéduriers scrupuleux et traînards !
Qui peut commémorer mai 1968 ?
Alors, qui peut commémorer mai 1968 ? Tout simplement ceux qui tirent profit de la déconstruction des valeurs honnies par ce mouvement. Les traditions nous inscrivaient jadis dans un cadre collectif au sein duquel l’individu trouvait solidarité, conseils, soutiens et convivialité. Tous ces groupements ont sauté sous la pression de la poussée de la culture libérale-libertaire et de l’individualisme. En un sens, l’ubérisation de l’économie a été rendue possible par l’idéologie issue de Mai 68, par la vision du monde qu’il véhiculait.
La « libération » des moeurs n’aura été qu’un trompe-l’oeil. En fait, seul le Marché peut légitiment commémorer – et surtout fêter – « les événements ». Marché où toutes les dimensions de la vie sont à la merci de la loi de l’offre et de la demande : travail, sexualité, mariage, procréation, organes corporels, potentiels symboliques et touristiques des lieux et monuments, compétitions sportives, médias, divertissements, capital esthétique. Avec pour corolaires la facilité et le moins-disant culturel. Tout est à vendre et à acheter, du moment que c’est « votre droit ».
Mai 68 : Simulacre de révolution
Sans doute existe-t-il des points positifs dans Mai 68. Mais la majorité de ces aspects se situent dans la créativité « à chaud » dont les acteurs du mouvement ont fait montre à l’occasion des « événements ». C’est-à-dire que le « moment Mai 68 » épuise à lui seul tous les bons côtés de l’aventure. Pour ce qui regarde les conséquences, c’est une autre affaire.
On pourra se consoler en pensant que le règne du Marché serait advenu quand même, sans les barricades dressées dans le quartier latin. Ce qui tend à démontrer que Mai 68 était bien un simulacre de « révolution ». On peut comprendre la nostalgie qui s’empare de ceux qui y ont assisté ou participé. Mais la fête n’aura duré que l’espace de quelques jours.
« Garçon, l’addition ! »
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