La tragédie afghane ne devrait pas recomposer en profondeur la configuration géostratégique de l’Asie centrale et orientale. L’arrivée des talibans à Kaboul n’est pas de nature à atténuer ou lisser les conflits entre puissances. S’il ne faut pas sous-estimer l’impact de l’affaiblissement américain dans la région lié au retrait de leurs troupes, celui-ci s’explique toutefois par la volonté des USA de concentrer leurs efforts sur la Chine.
L’Afghanistan, profondeur stratégique du Pakistan
La principale clé d’explication de la tragédie afghane est le conflit indo-pakistanais. Face à l’Inde, le Pakistan a besoin de la profondeur stratégique de l’Afghanistan. A cette fin, les terribles services secrets de l’armée pakistanaise, l’ISI, veulent avoir la main sur l’évolution politique du pays voisin. Le Pakistan ne reculera devant rien pour amoindrir l’influence indienne dans la région. C’est lui qui tire, autant que faire se peut, les ficelles du pouvoir afghan. Si cette vérité ne saute pas immédiatement aux yeux, cela tient à la duplicité du pouvoir pakistanais.
Longtemps allié des Américains, le Pakistan n’a eu de cesse de jouer sur les deux tableaux : d’un côté, promotion de l’islamisme (n’oublions que sa raison d’être première est religieuse, malgré une composante laïque héritée de l’Empire britannique), d’un autre côté alliance toute en ambiguïté avec l’Amérique qui déverse des milliards de dollars afin de tenter de contrôler ce détenteur inquiétant de la bombe.
Jusqu’à maintenant, les différents acteurs feignaient de s’accommoder de ce jeu de dupes. Les Occidentaux fermaient les yeux sur la duplicité du Pakistan (qui abrita la dernière retraite de Ben Laden, ce qu’il ne pouvait ignorer quand on connaît les mille yeux de l’ISI, et cela à côté d’une ville de garnison !), en échange de quoi les Pakistanais collaboraient en maîtrisant leurs créatures en Afghanistan.
La montée en puissance de la Chine rebat les cartes
Mais une donnée majeure est venue perturber ce jeu : la montée en puissance de la Chine. Désormais, l’Inde a renoncé à se draper dans la posture avantageuse de pays non-aligné. Elle a rejoint la ligue officieuse d’endiguement de la Chine. Cette dernière ne cache pas sa volonté de faire alliance avec le Pakistan en l’intégrant à sa route de la soie. Mais cette entreprise s’avère plus compliquée que prévu : la preuve en fut fournie par les attentats dont ont été victimes récemment des ingénieurs chinois. Qu’à cela ne tienne ! La Chine voit dans le rapprochement avec le Pakistan un coin enfoncé dans le système américain.
En Asie, tout est appelé à se reconfigurer en fonction de la rivalité Chine-USA. Mais à cette surdétermination, gardons-nous de négliger les deux autres surdéterminations majeures que constituent les conflits indo-pakistanais et sino-indien. Combien de temps le Pakistan pourra-t-il continuer à jouer sur plusieurs tableaux à la fois ? Jusqu’à quand les Américains fermeront-ils les yeux sur sa duplicité ? Certes, ils entretiennent la fiction de leur relation avec le Pakistan dans l’espoir que celui-ci ne penche pas définitivement du côté de la Chine. L’Inde n’a pas ces états d’âme. Elle a rejoint la ligue d’endiguement de la Chine, tout en veillant à affaiblir son ennemi pakistanais.
L’Afghanistan et les conflits interétatiques en puissance
Et l’Afghanistan dans tout ça ? La Chine convoite ses minerais, le Pakistan tente d’y maintenir son influence pour faire pièce à l’Inde en se constituant une profondeur dans l’éventualité d’un conflit de basse intensité. La Russie, de son côté, désire maîtriser les velléités terroristes susceptibles de renaître sur le sol de cet Etat failli. Quant à l’Iran, il essaye d’instrumentaliser la crise afghane dans le but d’affaiblir les Américains et de les chasser d’Asie centrale. Les masques sont en train de tomber. Le Pakistan penchera-t-il définitivement du côté de la Chine ? Ou bien continuera-t-il à garder deux fers au feu ? L’inconnue pakistanaise sera la clé de résolution de cette tragédie.
Quant à l’Occident, tout en affichant son alliance avec l’Inde, il a tout intérêt à « garder langue » avec le « Pays des purs ». La franchise n’est pas la vertu diplomatique cardinale, surtout dans cette région instable où évoluent des masses démographiques considérables. La Chine commence à prendre conscience que le Pakistan est un pays peu sûr pour elle. Les amitiés de façade ne doivent pas faire illusion.
L’Asie est grosse de confrontations : Chine-Taïwan, Chine -Inde, Inde-Pakistan, Chine-USA et ses alliés (Australie, Japon, Philippines, etc). Bien avisé qui serait en mesure de prédire ce qui va arriver ! Au milieu de ces lignes de fracture, l’Afghanistan, pays pauvre et isolé, est davantage un enjeu périphérique pour ses puissants voisins qu’un acteur souverain. Pauvres femmes afghanes perdues au milieu de ce kriegspiel ! Et qui ne peuvent même pas compter sur le soutien de nos féministes « décoloniales » !
Jean-Michel Castaing
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