Les pleins pouvoirs pour un président
Le marathon électoral est terminé. Emmanuel Macron possède sa majorité absolue à l’Assemblée. Fait inédit : le mouvement La République en marche n’a pas besoin d’alliés – ce qui ne fait pas l’affaire de Bayrou. Macron a bien les pleins pouvoirs, malgré le correctif apporté par le second tour.
Du jamais vu sous la Ve République
La séquence politique que nous venons de vivre depuis plusieurs mois, épuise tous les superlatifs. Qui aurait parier il y a encore un an sur les chances de ce nouveau venu dans la classe politique ? Que tous les ténors allaient disparaître ? Que la droite, à laquelle la victoire tendait les bras, alternance oblige, n’allait pas qualifier son candidat pour le second tour de la présidentielle ? C’était compter sans la lassitude des Français. Plus qu’une révolte du peuple contre les élites, c’est l’impuissance des gouvernants devant le chômage de masse qui a été sanctionnée, ainsi que leur incapacité à se remettre en cause. La politique, ce n’est pas seulement de la com’, ou du calcul d’appareil. Derrière les chiffres, il y a des hommes. Près de six millions de nos concitoyens n’ont pas de travail. Avec tout ce que cela entraîne comme conséquence au niveau de l’intégration, de l’accroissement des inégalités, des tentations extrémistes (même si le chômage n’explique pas tout).
Du nouveau en trompe-l’oeil ?
Une nouvelle classe politique émerge de ce « dégagisme ». N’ayons pas peur de sa jeunesse ! Que je sache, la responsabilité d’un parlementaire inexpérimenté n’est pas celle qui pesait sur les épaules du premier consul nommé Bonaparte, qui était plus jeune que la majorité d’entre eux lorsqu’il prit les rênes de la France (il avait 30 ans en 1799). Certes, tout le monde n’est pas Bonaparte. Toutefois la vie d’un parlementaire cornaqué, n’a pas la densité de celle du premier consul de la République de cette époque où notre pays faisait l’histoire.
Macron a-t-il trop de pouvoir ? En fait, le plus à craindre est la place excessive que tiendront les énarques dans les hautes sphères du nouveau pouvoir. Sur ce point, les moeurs ne sont pas près de changer. Danger d’une arrogance technocratique qui peut se retourner contre le nouveau Président. Il ne faudrait que l’adage du « Guépard », le film de Visconti (1963), ne se vérifie une nouvelle fois : « Il faut que tout change pour que rien ne change » !
D’autant plus que l’ivresse de ce pouvoir sans partage ne peut que s’accroître des yeux doux que lancent les médias à ce nouveau Kennedy hexagonal. Son progressisme sociétal n’est pas étranger en effet à la séduction qu’il exerce sur eux. Macron, flanqué de sa présidence « jupiterienne », saura-t-il résister aux sirènes médiatiques, à la facilité de penser « comme il faut » afin de leur complaire ? Aura-t-il le courage de s’extraire du « prêt-à-penser » lorsque les circonstances historiques l’exigeront ?
Le scepticisme des classes populaires
Reste l’inconnue de l’opinion publique. Cette Assemblée, mal élue à cause d’une abstention record, n’est pas tout à fait représentative, malgré son entière légitimité. Macron ne parvient pas à séduire les classes populaires, qui pâtissent de la mondialisation. Son défi le plus important sera de réduire l’écart qui ne cesse de grandir, entre les gagnants de la globalisation, fortement diplômés, urbains, à l’aise avec le tournant numérique de l’économie, et cette autre France périphérique, qui ne voit dans l’ouverture qu’un danger pour ses emplois et son mode de vie. La réduction de cette fracture sociologique sera une des clefs de la réussite de son quinquennat.
Une opposition morcelée
Autre question : qui s’opposera le mieux à la nouvelle majorité ? Le parti socialiste n’est plus taillé pour le rôle. Proche de l’implosion, concentré sur sa survie, il ne peut espérer porter la contradiction à l’équipe d’En Marche ! avant longtemps.
La France insoumise de Mélenchon est plus crédible dans cette fonction. A l’affût, attendant les premiers coups de canif porté au droit du travail, ce dernier caresse l’espoir de prendre la tête du troisième tour social. Muni de son incontestable talent de tribun, il rêve de se poser en Spartacus défiant l’oligarchie patricienne.
Forte du bouillonnement d’idées en son sein, grisée par l’hégémonie culturelle qu’elle est en passe de reconquérir face à une gauche qui finit son cycle historique, ce qui n’était pas arrivé depuis soixante dix ans, la droite en a oublié le bon sens en cours de route. Quelle idée de faire courir son champion le quatre cent mètres avec un boulet au pied ! Elle paye son erreur de casting. Eclatera-t-elle, elle aussi, sous la pression des appels du pied que le macronisme ne manquera pas de lancer aux plus friables de ses élus ? Cela dépendra en partie de l’orientation de la politique du nouveau gouvernement. En Marche ! sera-t-il « de droite et de gauche », ou bien « ni de gauche ni de gauche » ?
Quant au FN, privé d’alliance et de groupe parlementaire, malgré son score honorable aux législatives, eu égard à un mode de scrutin qui lui est défavorable, prendre la tête de l’opposition reste au dessus de ses forces. Fracturé lui aussi, le parti de Marine Le Pen cherchera peut-être à passer des accords avec certains élus de la droite. L’issue d’une telle entreprise reste incertaine.
La lune de miel aura une fin
La France entre dans une ère politique inédite. Ceux qui voulaient le renouvellement sont servis. Attention, toutefois ! Changer les têtes ne suffit pas. Macron a bénéficié d’un « alignement de planètes » insolemment heureux. Le plus dur commence pour lui. Pour beaucoup de Français, il reste encore un inconnu. Que veut-il pour notre pays ? Son ambiguïté a fait sa force jusqu’à maintenant. Mais en politique comme en amour, les effusions indicibles n’ont qu’un temps. Vient toujours le moment des clarifications, de se dire les choses franchement. Macron est persuadé que ce moment a déjà eu lieu. Tout le monde n’est pas de cet avis.
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