Une finale de foot dont je ne me suis jamais remis
Quand on est petit, le foot … plus exactement le football … est une affaire sérieuse. Je ne me suis jamais relevé de la défaite des Pays-Bas de Johann Cruyff contre l’Allemagne de Beckenbauer en 1974. Une scène originelle ! Les meilleurs ne gagnent pas toujours. Avec le temps, on comprend que la plus grande noblesse du sport réside dans la défaite. D’ailleurs, les perdants sont toujours plus nombreux que les gagnants. Pour l’éternité, Cruyff a remporté son duel contre le libero du Bayern.
Je ressentais d’autant plus douloureusement cette défaite héroïque que j’avais découvert le football avec l’Ajax d’Amsterdam. Ah ! cette finale contre la Juve en 1973, avec ce but de la tête de Rep à la 4 ième minute ! A l’époque, les matchs étaient rares à la télé. Encore fallait-il obtenir l’autorisation de mon père pour veiller devant le petit écran, s’il y avait école le lendemain. Aujourd’hui, nous sommes gavés de ballon rond. Une overdose.
Découverte de la dimension universelle du foot
Je fus initié à la dimension universelle du foot avec la Coupe du monde de 1974. Le supplément de France Football présentait tous les pays. Je me souviens, il y avait Haïti et l’Australie. Pour la France, c’était une époque de vaches maigres. Jean-Marc Guillou était notre meilleur footballeur. Qui se souvient de lui ? Nous perdions invariablement contre les Diables rouges (la Belgique). L’arrivée de Stephan Kovacs ne changea rien à l’affaire. Au départ, la Coupe du monde n’a pas signifié pour moi supporter les Bleus. Les Anciens parlaient du Mexique 70 avec des trémolos dans la voix. Le but de Carlos Alberto ! Et celui de Pelé, que Banks avait arrêté ! Et Beckenbauer avec le bras en écharpe !
Enfin survint Platini. Je revois l’ambiance de folie en Argentine pour le match d’ouverture, avec le général Videla comme César imperator dans les tribunes de ce Colisée que tachetaient des nuées de papillotes. Et la rencontre face au pays organisateur, suivi à la radio, au cours d’un voyage de fin d’année scolaire (avec un pénalty de Passarella, qui avoua plus tard que l’équipe était très « chargée » pour la finale ! Mais qui s’aviserait d’annuler une finale de Coupe du Monde pour cause de dopage ?). Entre-temps il y eu l’épopée des Verts. Et toujours nos voisins d’outre-Rhin qui emportaient la mise à la fin ! J’achetais France Football chaque semaine.
Faut relativiser !
Le foot est dangereux, car vous croyez qu’il est capable de vous apprendre ce qu’est l’injustice. Pour moi, celle-ci était résumée, outre la défaite des Oranges de 74, dans la finale perdue par Leeds United contre le Bayern à Paris : un pénalty et un but refusés, Gerd Müller qui marque en contre-attaque contre le cours du jeu en fin de match ! J’en pleurai de rage (la France découvrait le phénomène hooligans à cette occasion). Mais l’injustice, c’est bien plus grave. Quand on est petit, on prend le foot trop au sérieux.
Ma chance, c’est d’être tombé sur un éducateur qui se moqua de moi devant toute l’équipe de foot que j’avais intégré. Ce vilain accueil me décida de laisser tomber la pratique du ballon en tant que licencié. Je me sevrais de cette addiction, pour m’intéresser désormais à la culture. Ce mauvais éducateur avait été l’instrument de la Providence. La plupart de mes amis ne sont pas footeux. Je me m’intéressais plus alors au foot que de loin en loin. Bien plus tard, je fut surpris par le mauvais tour que prenait la compétition entre Paris et Marseille. Un de mes amis me dit qu’il faut la prendre au second degré. Soit ! En tous cas, je félicite la Providence de m’avoir offert ma première et préférée Coupe du Monde sans passion chauvine.
Le foot français : un mystère
Bien sûr, je soutiens les Bleus. J’aime gagner – ou du moins que les Bleus le fassent pour moi. Je ne vous resservirai pas le couplet sur Séville 82. Ce n’est pas l’Italie qui a inventé le catenaccio (verrouiller sa défense), qui se serait fait remonter deux buts à quelques minutes du coup de sifflet final ! Et nous devions gagner en 2006 sans la provocation de Materazzi.
J’attends encore l’analyste qui m’expliquera pourquoi nous n’avons que deux coupes d’Europe des clubs à notre actif, alors que nous étions parmi les quatre pays les plus peuplés d’Europe occidentale (nous sommes devenus le second). Avant 1998, le plus grand stade de France ne pouvait accueillir que 50 000 spectateurs (l ‘équivalant du stade de Bari en Italie !), et cela dans la première conurbation d’Europe ! Un mystère !
Ne pas surestimer l’importance politique du foot
Il ne faut s’exagérer la portée géopolitique du foot. Que la victoire de RDA sur la RFA fût considérée comme un événement en 1974, rien de plus normal (encore que l’équipe de Beckenbauer s’évitait de la sorte le groupe des Pays-Bas et du Brésil). Cela n’évita pas toutefois l’effondrement de l’Allemagne de l’Est quinze ans plus tard. Kempes et Maradona ne firent que retarder de quelques années la chute de la junte militaire argentine. L’énigme de l’attribution de la Coupe au Qatar n’empêchera pas cet émirat de devoir rendre des comptes au sujet du jeu trouble qu’il pratique avec l’islamisme.
Le foot peut bien servir d’opium un instant. Mais les peuples sont moins bêtes que certains de leurs dirigeants ne le pensent. Ne surestimons son importance. L’équipe « black-blanc-beur » de 98 d’Aimé Jacquet n’a pas résolu les problèmes d’intégration et d’assimilation auxquels notre pays est confronté.
Une immense liturgie régressive
Pour un ancien comme moi, le foot a perdu de sa magie. Trop d’argent. Trop de matraquage médiatique. Sans doute les plus jeunes rêvent-ils encore. Tant mieux. La petite Angélique, assassinée en Isère, était une fan de Neymar. J’ai trouvé cela bouleversant. Quand on est petit, le foot est une affaire sérieuse. La liturgie de la Coupe du Monde, réactivée tous les quatre ans, constitue peut-être une immense catharsis régressive à l’échelle de la planète…
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