Culte secret de l’occulte
Indéracinable goût du secret ! Aussi ancien que l’histoire des hommes ! A l’instar de leurs lointains devanciers, les citoyens de nos modernes Babylone désirent eux aussi avoir part au grand frisson de la révélation ésotérique, percer le Secret cardinal. Lequel ? Ils n’en savent fichtre rien. Mais au moment où il y quelque chose de caché, d’enfoui, de dérobé au regard de tous, leur convoitise, celle de l’esprit, se réveille. Perversion de la religiosité que cette envie de savoir en ce domaine nébuleux, fût-ce au prix de leur santé mentale !
Une fascination malsaine
Malgré leurs toquades techniciennes, nos sociétés modernes restent invinciblement attirées par l’occulte. Elles tiennent à connaître à tout prix. « Revenir à la terre » ? C’était bon il y a quarante ans ! Depuis, les religions séculières se sont effondrées les unes après les autres. Les librairies où Marx et Lénine trônaient dans les vitrines ont été remplacées par des maisons d’éditions consacrées à l’ésotérisme, à l’hermétisme, à la cabale démonétisée, aux tarots, au spiritisme.
Désormais seul demeure digne d’attention ce qui est obscur, à demi-dévoilé, dit au travers de messages hiéroglyphiques, énigmatiques. Une sagesse secrète a été occultée, cachée par l’Eglise ! Heureusement les fins limiers des grands ordres de l’Occulte vont la porter au grand jour, et démasquer dans le même temps la conspiration du silence des papes et de leur hiérarchie !
Rendez-vous à Rennes-le-Château
Tantôt c’est le trésor des Templiers qui a été enfoui dans une grotte mystérieuse, tantôt c’est celui de l’abbé Saunière qui est enterré quelque part à Rennes-le-Château, et qui n’attend que le décryptage des Sherlock Holmes des grimoires ésotériques pour que soit donné le premier coup de pioche décisif. Par intermittence le mont Bugarach retient de son côté l’attention des spécialistes des extra-terrestres. Suspens garanti.
Nos modernes Babylone n’ont de cesse de troquer le désir du vrai Dieu contre cette curiosité pour les secrets hermétiques et initiatiques. Et comme ces secrets se révèlent toujours vides, inconsistants, cette quête n’en finit pas de s’éterniser, pour le plus grand bénéfice de ses initiateurs !
Des sagesses orientales à l’encan
Ou bien il s’agira de rejoindre notre Soi que les dogmes et les commandements de la morale ont enfouis et rendus méconnaissables. La gnose fait miroiter à ses adhérents qu’ils vont arriver à se réconcilier avec leur « moi essentiel », et avec le monde par la même occasion, en retrouvant cette portion divine enfouie au fond d’eux-mêmes. Et Babylone, jamais à cours de charlatans, de s’engouffrer dans la brèche afin de régner sur les esprits en s’érigeant en prêtresse de cette « Sagesse primordiale ». « Le monde est illusion, nous souffle-t-elle à l’oreille. Le Christ prêché par l’Eglise n’est pas plus consistant, continue-t-elle. Il n’était qu’un pur esprit, le prototype de l’âme, un simple guide vers le salut ».
La gnose, c’est toujours la négation de la chair. Selon elle, il n’est pas besoin de chercher Jésus dans les sacrements. Il était un avatar d’un Christ cosmique, plus essentiel que lui. Inutile aussi de se tourner vers son Père: il n’en a jamais eu. C’était là une invention des époques patriarcales qui consolidaient leurs structures sociales oppressives au moyen de croyances religieuses. Telle est la vulgate de la gnose de supermarché disponible sur nos étals !
Une religiosité pour temps de solitude
Selon ces croyances, le salut passe par la connaissance, non par l’amitié et la prière. Peut-être cette conception de la religion convient-elle à une époque où les liens entre individus se distendent. Aux monades esseulées de nos mégapoles, répond une quête individualiste du salut où il n’est plus question de solidarité organique dans un corps comme l’Eglise, mais simplement de sectes d’initiés, chacun retiré à l’écart de la société, et que le numérique permet de mettre en relation sans que le corps ni l’espace concret soit de la partie.
Divinité distante, à l’image des mécanisme économiques du libéralisme, gouverné par la « main invisible » du marché. Economie sans humanité, régie par l’auto-régulation impersonnelle du susdit marché au sein duquel les égoïsmes sont censés procurés, dans leur synergie involontaire, le bien-être à tous.
L’effondrement de la raison
Autre motif d’inquiétude : la séduction des religiosités gnostiques s’effectue sur un fond d’effondrement généralisé de la raison. Celle-ci est devenue purement procédurale dans nos démocraties formelles, toutes occupées à l’obtention boulimique de « droits ». Ou bien la raison en est réduite à servir de simple instrument au progrès techno-scientifique. La religion, quant à elle, ayant divorcée d’avec la Raison, devient la proie de tous les délires. Sur le terreau de cet irrationalisme prospère le marché de l’Occulte.
Il reviendra à l’avenir aux spécialistes des religions de détromper nos concitoyens à ce sujet. Non, la religion n’est pas l’ennemie de la raison. Je dis « spécialistes » à regret. J’aimerais que cette fascination pour l’occulte, et ses secrets de pacotille (mais dont il serait téméraire de sous-estimer toutefois la dangerosité), soient dénoncés également par des personnes se situant au-delà de la sphère religieuse. Malheureusement, comme la culture dans ce secteur s’est effondrée, il ne reste plus que les tenants des religions établies pour porter le bon diagnostic sur les pratiques qui y ont cours. Ce n’est pas une raison pour ne pas les écouter.
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