Blanquer à l’Education nationale, moins d’idéologie et plus d’enseignement
La nomination de Jean-Michel Blanquer au ministère de l’Education nationale a été ressentie avec soulagement et espoir par beaucoup de Français. Qu’attendent-ils de lui ? Plus d’enseignement pour les enfants, et moins d’idéologie pour les enseignements !
L’obsession de l’égalité
Commençons par le versant idéologique. Quel a été le maître-mot des gourous qui inspiraient les locataires successifs de la rue de Grenelle depuis quarante ans ? La fameuse « Egalité ». Il s’agissait de rendre l’école la plus égalitaire possible. Mais comment ? Tirer le plus de personne vers le haut ? Ou bien dispenser le même enseignement à tout le monde ? La première solution semblait la plus noble, mais hélas ! la plus difficile à atteindre. Faute de se donner les moyens de son ambition, on se rabattit sur la seconde solution.
Mais comment justifier cet arasement par le bas ? Survint providentiellement la doxa bourdieuse. Pour le célèbre sociologue Pierre Bourdieu, la recherche de l’excellence n’était qu’un prétexte pour perpétuer les codes de la classe dominante. Selon lui, l’école, loin de donner à chaque enfant un passeport pour la vie et réduire ainsi les handicaps culturels de départ, creusait au contraire les inégalités. L’école était accusée de privilégier les « héritiers », c’est-à-dire ceux qui avaient baigné dans les codes de la culture bourgeoise dès leur naissance, au détriment des classes sociales défavorisées. D’après cette vision, le système scolaire n’avait d’autre finalité que la reproduction des élites.
Une école culpabilisante ?
Mais pour Bourdieu, le mal était encore plus profond, et beaucoup plus …pervers ! En effet, comme l’école se vantait d’être égalitaire (afin de rester fidèle à la devise républicaine), les mauvais résultats récoltés par les « déshérités » étaient imputés à l’absence de mérite de leur part ! C’est ainsi que l’ Education nationale se défaussait, selon Bourdieu, du vice inégalitaire qui lui était inhérent, sur les élèves pauvres. Double peine pour ces derniers : à l’inégalité du départ s’ajoutait l’opprobre de l’absence de mérite !
L’école étant accusée de reproduire les élites, et cela sous couvert d’une égalité de principe bien hypocrite, les idéologues de l’enseignement, guidés par l’idéologie de Bourdieu, n’ont eu de cesse de promouvoir l’égalité réelle, effective. Telles sont les raisons pour lesquelles le mantra de l’égalité est devenu l’obsession des ministres de l’Education nationale qui se sont succédé depuis quatre décennies.
L’égalitarisme contre l’égalité
Rien, aucune étude sérieuse et chiffrée, aucun retour d’expérience, aucun témoignage de terrain, n’a pu leur faire démordre de ce credo trompeur. Car on s’est vite rendu compte que chasser l’excellence, loin de faire reculer les inégalités, les accentuait au contraire. Seules les filières d’excellence favorisent en effet la mobilité sociale. L’égalité « pour tous » est un trompe-l’œil. Les parents d’enfants d’une classe socialement favorisée trouveront toujours le moyen de pallier la médiocrité de l’enseignement (en les inscrivant par exemple dans une école privée, sans regarder le prix).
Selon des études sérieuses, les parcours explicitement sélectifs garantissent mieux, dans l’ensemble, la fluidité de l’échelle sociale que les systèmes plus uniformes. On est loin ici de la stigmatisation de l’enseignement de savoirs prétendument « socialement connotés », et facteurs de relégation !
Najat Vallaud-Belkacem s’est faite la championne de cette vulgate progressiste. Sous prétexte de non-discrimination, les gourous du « Mammouth » se sont évertués à dispenser le savoir le plus mièvre, le plus pauvre en contenu. L’aplatissement général était censé faire sortir de l’ornière les garçons et les filles des quartiers « difficiles » ! On remplaça ainsi les notes par des couleurs afin de ne pas « traumatiser » les élèves ! Comme si le choc du chômage, qui les attendait à la sortie, devait en être amorti, comme si chausser des lunettes roses allait soudain transformer la vie en la même couleur !
En guise d’enseignement, on décida d’inculquer à nos chères têtes blondes qu’il faut être gentil avec tout le monde, ne pas discriminer, s’ébaudir devant tout groupement qui s’autoproclame « minorité », ne pas faire d’amalgame entre islamisme et islam : tel est désormais le nec-plus-ultra de ce qu’il faut savoir dans la vie ! Avouons que c’est un peu court, et qu’il n’est pas besoin d’être agrégé pour dispenser pareille leçon !
En finir avec le moralisme
Ce moralisme a-t-il fait reculer d’un pouce les inégalités ? Que nenni ! Les parents des classes sociales plus fortunées que la moyenne, allaient-ils rester les bras croisés, sans réagir ? Se résigner à faire subir à leur progéniture ce lavage de cerveau ? Accepter qu’on ripoline la médiocrité de l’enseignement avec de tels slogans ? Non, ils ont tout simplement payé pour inscrire leurs enfants dans des écoles exigeantes.
Ce souci de l’égalité a eu un résultat diamétralement inverse à celui que les idéologues escomptaient. La preuve : jamais le pourcentage d’enfants de classes défavorisées n’a été aussi bas dans les effectifs des grandes écoles (ENA, Polytechnique, Normale Sup, etc).
L’imposture du pédagogisme
Cependant, il ne suffit pas de critiquer le parti pris idéologique qui a présidé aux différentes réformes de l’Education nationale depuis quarante ans. Encore faut-il préciser les effets néfastes qu’a engendré le second versant de celles-ci, c’est-à-dire le pédagogisme. Avec ce dernier, on passe de l’idole, l’Egalité, à la matière du culte que ses sectateurs désirent lui rendre, au contenu proprement dit de l’enseignement, ou plutôt du non-enseignement.
Qu’est-ce que le pédagogisme ? La croyance que ce qu’il faut enseigner à l’enfant ne réside pas en dehors de lui. Au contraire, il s’agit de lui faire découvrir ses ressources propres, son génie, en galvanisant en lui le désir de chercher les virtualités qu’il recèle. Le pédagogisme se propose de ne plus concentrer l’attention de l’enfant sur un objet bien défini à connaître, mais plutôt sur l’acte même d’apprendre. De sorte à l’amener à apprendre à apprendre, et à aimer cela.
Apprendre à apprendre : qu’importe le contenu de cet apprentissage ! L’essentiel pour l’élève est de découvrir en soi-même le plaisir de découvrir. Quoi ? En l’absence de contenu bien défini, l’enfant est censé ne trouver au bout du compte que son « génie propre »…Démarche bien improbable et aléatoire…
L’enfant-roi au centre du système !
A l’instar de Socrate faisant accoucher ses interlocuteurs des idées innées qui sommeillaient en eux, le pédagogisme se donne pour mission de faire accéder l’enfant à une espèce d’ « illumination » intérieure. On est loin ici de l’enseignement magistral. D’ailleurs, pour le pédagogisme, il est important de récuser celui-ci, et tout « discours du maître » en général. Avec le pédagogisme, il n’existe plus de vérités ni de docteurs ou de professeurs. L’enseignant est « co-apprenant » : entendez par là qu’il apprend avec ses élèves l’art d’apprendre, et le plaisir de se surprendre lui-même ! Pour cela, il n’a plus besoin de rester en position de surplomb ! Qu’il redescende plutôt de son estrade, et pourquoi pas, qu’il vienne s’assoir à la même table que ses élèves ! Qu’on ne s’étonne après cela de l’absence de verticalité dans nos sociétés…
Tel était le but que se fixaient les idéologues de la rue de Grenelle : « mettre l’enfant au centre de l’enseignement ». L’enfant allait enfin devenir son propre maître ! Ce n’était plus à lui de tourner autour de l’histoire, de la grammaire, de la syntaxe, c’étaient à ces disciplines de se mettre à son service ! Belle imposture drapée dans les oripeaux de bons sentiments ! Comme si « les égaux » (ou les ego) pouvaient se comprendre en employant chacun la grammaire de son choix ! Mais Roland Barthes ne disait-il pas (il a été mieux inspiré) : « La langue, c’est le fascisme » ? Pauvres choux à qui on imposait unilatéralement les conventions des adultes !
Nous rendons un mauvais service à nos enfants en les enfermant dans leur monde, et en les empêchant de s’initier aux richesses de disciplines dont ils ignorent tout. La vie commence lorsqu’on décide de quitter ses rivages familiers pour aller en haute mer, et découvrir ainsi des mondes dont on ne soupçonnait pas l’existence avant de s’embarquer.
Sanctuariser l’école
Au rebours de l’enseignement traditionnel, le pédagogisme incite l’enfant à se concentrer sur son propre moi : funeste régression, qui rend l’élève prisonnier de ses affects, et par conséquent de ses limites. Jadis, l’école lui offrait l’opportunité de sortir de l’étroitesse de sa condition avec Homère, Molière, l’histoire, la géographie. Mais si l’enfant n’a plus d’autre horizon maintenant que de tourner autour de son « génie propre », ne le condamne-t-on pas de la sorte à baigner sans fin dans l’idiosyncrasie de son univers mental, forcément plus limité que la littérature et l’histoire ? De plus, en faisant de l’excellence un « droit » et non le fruit de l’effort, les idéologues pédagogistes entretiennent l’enfant dans l’illusion d’être un génie inné, ce que son apprentissage de la vie d’adulte a toutes les chances de démentir.
L’école, aveuglée par les œillères de cette idéologie, au lieu d’initier au grand large de la vie, se contente de servir d’adjuvante aux caprices du moi des élèves. Elle se propose maintenant de « s’ouvrir à la vie » : c’est là une formule à la fois creuse et trompeuse. La mission de l’école consiste à apprendre les oeuvres des génies de l’humanité, non à abreuver les élèves d’idées toutes faites sur le « vivre-ensemble » et autres billevesées qui les confortent dans la bonne conscience de leur ignorance.
L’école a scié la branche sur laquelle elle était assise
Quant aux enseignants, le pédagogisme conteste si fortement leur légitimité que beaucoup se détournent de la profession. Ils avaient pensé embrasser le plus beau métier du monde, et ils se retrouvent au final à remplir la fonction de garde d’enfants, ou bien se voient notifier l’ordre de slamer les vers de Racine afin d’ «inculturer» nos classiques louis-quatorziens !
Le pédagogisme leur a enseigné la haine de soi : tout intellectualisme est suspect, toute velléité de vouloir en revenir à l’enseignement magistral est considérée comme une attitude « réactionnaire », voire une maltraitance d’intention. L’école a scié ainsi la branche sur laquelle elle était assise. Si bien que le manque de légitimité à enseigner les maîtres de jadis s’est répercutée sur la légitimité de l’enseignant et celle de sa mission.
Les problèmes d’autorité dans les classes ne sont pas nés uniquement de la démission parentale. Dès lors que l’Education nationale retirait aux professeurs l’aura magistérielle qui était encore la leur il y a soixante ans, on pouvait s’attendre à ce qu’une partie non négligeable des élèves en viennent à leur manquer de respect durant les heures de cours. C’est ainsi que beaucoup de d’enseignants, de guerre lasse, aux cours exigeants et magistraux de jadis, préfèrent maintenant les activités « ludiques » : le slam, la danse, la voltige, le «street art», etc. Ne vous demandez plus pourquoi votre fille est ignorante…Et que dire du manque de concentration lié à l’addiction aux écrans ? Mais c’est là un autre sujet.
Un enseignement de qualité pour tous
Avec l’arrivée de Jean-Michel Blanquer, espérons que l’Education nationale rompe enfin avec cet enseignement au rabais, et qu’elle en revienne aux fondamentaux. L’école soustraira ainsi les élèves, pour un temps, à la société de consommation. Et qu’on en finisse dans la foulée avec le préjugé selon lequel un enseignement de qualité serait élitiste et de « droite ». Les pauvres ont eux aussi le droit de préférer Racine au dernier rappeur à la mode.
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